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Un échange avec Paul Williams
Par Derek Barker
Isis no.116



Au moment où je m'apprête à rédiger cette introduction à l'interview de Paul Williams au sujet du troisième opus qu'il consacre à Dylan musicien, Paul a déjà entamé la rédaction d'un quatrième volume " Le génie d'un musicien, 2003-1990 et 1990-2003" !

Paul est né le 19 mai 1948 à Boston, Massachusetts, USA. Ses premiers essais d'écriture ont été publiés en 1962 dans un fanzine de science-fiction, " Within ". Dès janvier 1966, il publia le premier numéro de son magazine musical révolutionnaire, " Crawdaddy ".

Paul Simon réagit sans attendre à cette première publication de " Crawdaddy " en téléphonant à Paul dans son internat afin de lui dire sa satisfaction de la critique qu'il avait écrite sur " The Sounds Of Silence ", l'album de Simon & Garfunkel. Son " Dylan, What Happened " qui paraîtra en 1979 suscitera le même enthousiasme.

En ces temps-là, où tout était plus simple, Paul ne rencontrait aucune difficulté pour rencontrer des groupes comme les Doors, Buffalo Springfield, Jefferson Airplane et les Beach Boys pour ne citer que ceux-là.

En mars 1967, il fut co-organisateur du premier " Be In " à New York City. Au cours de l'été 1968, il créa " Entwhistle Books " avec Chester Anderson, Joel Hack et David Hartwell.

En Octobre 1968, après la parution de 19 numéros, Paul abandonna Crawdaddy tiré alors à près de 25 000 exemplaires pour se réfugier dans une cabane perdue au milieu des bois de Mendocino en Californie. Son premier livre, " Outlaw Blues ", publié en 1969, regroupait essentiellement les articles de Crawdaddy.

En mai 1969, le magazine Rolling Stone lui demanda d'interviewer Timothy Leary. Il le retrouva dans la chambre 1742 de l'Hôtel Queen Elizabeth à Montréal, là-même ou John Lennon et Yoko avaient installé leur Bed In. John écrivait alors " Give Peace A Chance ". La voix de Paul est présente sur ce morceau pour l'éternité.

Bien dans l'esprit de 1970, il alla ensuite vivre dans une communauté en Colombie Britannique, au Canada. Il souhaitait s'installer en retrait de toute civilisation. C'est là que Paul écrivit " Das energi " qui devint une des meilleures ventes de l'underground. A ce jour, le livre, encore disponible, a été tiré à plus de 350 000 exemplaires.

Paul séjourna quelques temps au sein de la communauté de Mel Lyman à Fort Hell, à Boston puis New York. Il revint à la musique au cours de l'hiver 1973 où il publia le premier et unique numéro de " Rallying Point ".

Paul gagna Glen Ellen en Californie durant l'hiver 1976. Au printemps il s'enrôla dans les sapeurs pompiers volontaires de Glen Ellen. Il y resta dix ans.

Le premier travail majeur de Paul sur Dylan, " Dylan-What Happened ? " fut écrit très vite. Ce "livre instantané" fut rédigé sous l'effet des sept concerts auxquels Paul assista en huit jours au Fox Warfield Theater de San Francisco. Paul voulait en faire un édito, tout comme il voulait le faire pour Slow Train Coming, le nouvel album. Il voulait faire le point sur ce soudain intérêt de Bob pour Jésus. Le livre, écrit en deux semaines fut imprimé et distribué par les librairies dès la mi-décembre! Bob Dylan adora le livre. Sa secrétaire en commanda 114 exemplaires à Paul directement. Bob semblait vouloir offrir ce livre à quelques-uns de ses amis. Paul paraissait alors avoir saisi l'essence de Bob à ce moment de sa vie.

Tout cela ne fut pas sans effet et Bob invita Paul ainsi que celle qui était alors son épouse, Sachiko, à le rencontrer après quatre des concerts prévus en novembre. Ils passèrent plusieurs heures ensemble au cours desquelles Bob lut à Paul les textes d'une nouvelle chanson : " Every Grain Of Sand ". Bob évoqua également avec plaisir un autre de ses morceaux " Carribean Wind ". Il l'interprétera lors d'un concert à la demande de Paul.

Au cours des dix années suivantes, Paul écrira " The Book Of Houses " avec Robert Cole, " The International Bill of Human Rights " , " Waking Up Together ", " The Map, Rediscovering Rock And Roll ", " Only Apparently Real " et " Remember Your Essence ".

C'est en septembre 1986, soit il y a 18 ans, que Paul commença à rédiger le premier de sa série d'ouvrages consacré à Dylan musicien. C'est de son troisième opus que je veux aujourd'hui parler avec lui.


Derek Barker : " Paul, j'ai cru comprendre que tu avais eu quelques difficultés à trouver un éditeur pour ton dernier opus consacré à Dylan musicien " Mind out Of Time ". Je sais maintenant qu'Omnibus a accepté d'éditer ton bouquin, ont-ils les droits des deux côtés de l'Atlantique ?

Paul Williams : Omnibus sera mon éditeur des deux côtés de l'Atlantique pour ce volume-là. L'éditeur des volumes 1 et 2 était un petit éditeur. Les deux associés se sont séparés et n'étaient plus suffisamment solides pour assurer la publication de ce volume. Mon agent new-yorkais a cherché un éditeur sans succès. Je n'avais pas pensé à Omnibus car j'avais alors besoin de plus d'argent qu'ils ne pouvaient payer pour mener mon projet à terme.

C'est finalement le soutien de la communauté des fans de Dylan qui m'a sauvé en m'apportant une aide financière qui a permis l'écriture de ce bouquin. Ca a commencé avec un type qui m'a écrit pour me demander ce dont j'avais besoin pour écrire ce volume. Il souhaitait m'offrir son soutien sous la forme d'une donation faite à une association, un procédé qui lui ouvrirait des droits à un allègement d'impôts. J'ai alors cherché un organisme sans but lucratif qui me permettrait d'accéder à ce soutien financier. J'en ai finalement trouvé un en 1999 et mon mécène, Rob Johnson, m'a alors apporté un soutien de 25 000 dollars que j'ai pu toucher à 99%. J'ai finalement sollicité le support des abonnés à Crawdaddy et de quelques amis. Je leur proposais de passer une commande anticipée du bouquin dans une édition limitée ou de faire une donation. Plus de 200 personnes ont envoyé 60 dollars, parfois plus, bien plus. Ce livre n'a existé que grâce à l'aide apportée par l'ensemble de cette communauté. Je n'aurais pas pu l'écrire sans cela. La Suède, l'Irlande, la Grande Bretagne et les Etats-Unis sont les pays qui m'ont le plus activement soutenu. Un Hongrois m'a fait parvenir 100 dollars en me disant qu'il s'agissait de deux mois de son salaire!
J'ai été très touché de ce soutien qui m'a été apporté. C'est la preuve, s'il en fallait une, de l'attachement des fans de Dylan à sa musique, les enregistrements de concerts compris pour ce qu'ils constituent d'archives précieuses aidant à la connaissance de cette musique. Si j'avais été universitaire, j'aurais pu trouver un soutien pour ce travail, sous la forme d'une bourse peut-être. Mais ce n'est pas le cas, voilà pourquoi il m'a fallu compter sur des partenaires privés. Ils ont vraiment été à la hauteur. Pour finir, j'ai finalement envoyé le livre à Omnibus. Ils m'ont proposé une avance décente et m'ont ôté le souci de la publication. Je les en remercie mais je n'oublie pas que sans le soutien des fans de Dylan, le livre n'existerait pas aujourd'hui.

A un autre niveau, c'est cette étude chronologique de Dylan musicien qui donne à mes ouvrages leur caractère particulier. Il s'agit tout autant d'approcher les enregistrements en studio que les prestations sur scène. Mes livres ne sont jamais rigoureusement planifiés, ils prennent plutôt leur forme tandis que je les écris et que je redécouvre moi aussi ce travail de Dylan. Ils sont marqués de spontanéité même s'ils obéissent à une structure pensée. Et après tout, si on considère que l'artiste lui même crée selon ce processus non réfléchi, il revient à celui qui l'étudie d'en faire de même.

J'ai longtemps eu le sentiment que le Never Ending Tour, tel que nous le connaissons, a réellement trouvé son idée, son concept et son style lorsque Dylan, en pleine tournée de l'année 1987, a demandé à Tom Petty et les Heartbreakers de jouer les arrangements et le répertoire qu'il avait interprétés l'été précédent avec les Grateful Dead. Je vois là un indice important de la façon dont Dylan se conçoit en tant que musicien. Les interviews de cette période attestent de ce moment clef. Dylan déclare clairement que ce qu'il joue alors trouve ses fondements dans son expérience avec le Dead. C'est ainsi que le second volume s'arrêtait à la fin de la tournée de l'année 1985. Ce troisième volume prend tout son sens et se présente comme une mise au point sur un thème ou deux. Comment définir le NET ? Et pourquoi continue t-il de jouer autant ? Quel rôle Garcia et le Dead ont-ils joué pour lui ? Et ainsi de suite.

J'aime à penser que les titres des chapitres du livre résument avec justesse le contenu, les thématiques et la saveur de ce travail :
1- Billy Parker
2- "Je suis déterminé à tenir !"
3- En route vers ces chemins grand' ouverts
4- "Personne ne respire comme moi"
5- "Continuer à avancer"
6- Golgonooza


Le titre du volume lui-même " Mind Out Of Time " (Un esprit hors du temps) développe un autre sujet. Il y a bien sûr le jeu de mots autour du titre de l'album. Mais le titre exprime surtout une impression que m'a laissée tout ce que Dylan a dit de cette notion de temps et de sa volonté en tant qu'artiste de s'affranchir des limites imposées par ce concept du temps.

Derek Barker : J'ai cru comprendre que le quatrième volume était déjà en chantier ?

Paul Williams : C'est exact. J'en ai entrepris l'écriture. Il s'appellera " Bob Dylan. Le génie d'un musicien, 2003-1990 et 1990-2003 ". L'extension exprimée dans le titre exprime le malaise que j'ai ressenti à travailler dans un cadre chronologique pour cette série et ça, en partie, parce que les années du NET échappent à toute tentative de formalisation…Il n'est question que d'un homme qui continue de faire ce qu'il sait faire et qui le fait bien et en quantité.

Cette fois-ci, j'ai commencé par une description d'un concert de 2003 puis je suis revenu à l'année 1998, puis 1996 pour finir par l'année 1990 sur laquelle se termine le volume trois qui obéit lui encore à cette structure chronologique. Et j'espère apporter par mon étude un éclairage nouveau sur la nature du travail de ce génie musical. Aujourd'hui, je suis de nouveau en quête de mécènes pour souscrire à une édition limitée de ce livre actuellement en chantier, ou faire des dons qui en rendront les recherches et l'écriture possibles…Dans ce dernier volume, les mécènes, les sponsors et autres souscripteurs seront cités et chacun de ceux qui aura participé recevra un livre dédicacé à tirage limité.
" Qui donnera l'obole à ce ménestrel (ou chroniqueur) ? " .

Derek Barker : Combien vous faut-il de temps pour écrire un volume de la série ?

Paul Williams : En moyenne, il me faut deux ans et demi pour rédiger un volume. Si j'obtiens suffisamment de soutien pour me consacrer pleinement à la rédaction de l'ouvrage, je pourrai le publier fin 2006.

Derek Barker : Ce volume 4 sera t-il le dernier de la série ou y en aura t-il d'autres ?

Paul Williams : Je n'ai pas imaginé que ce livre serait le dernier. Aussi longtemps que Bob jouera et produira un excellent travail, j'espère moi aussi continuer à produire des critiques sur le miracle qui en résulte. C'est une belle histoire qui n'aura pas vraiment de fin tant que de nouveaux auditeurs frissonneront de plaisir en écoutant cet artiste éternel et tant que Bob saura nous communiquer son amour de la musique et de la vie.

Si vos lecteurs peinent à attendre 2006 pour lire le volume 4, ils peuvent se connecter sur paulwilliams.com pour en lire le début. Ils pourront aussi approfondir leur lecture en écoutant le cd du 27 juillet 2003 (Costa Mesa, CA) et tout particulièrement Tombstone Blues et Make You Feel My Love , des morceaux dans lesquels Bob apporte la preuve de son génie de façon tout à fait inattendue et novatrice.

Derek Barker : Autre sujet, vous étiez féru de Renaldo & Clara que vous aviez encensé (Cf. " 100 20th Century Greatest Hits "). Que pensez vous de Masked And Anonymous ?

Paul Williams : Je ne lui vois pas des qualités aussi grandes que R&C, en partie parce que les prestations musicales incluses dans le film ne sont pas particulièrement inspirées. Elles ne sont pas au niveau de ce qu'il sait faire de mieux. Pour autant, le film témoigne avec force de l'identité de Bob Dylan en tant qu'artiste ; qui plus est il jette un nouvel éclairage sur les albums et sur les films qu'il a déjà produits, ainsi que peut-être sur quelques-unes de ses chansons. Il n'est pas déraisonnable de reconnaître au film une volonté esthétique identique à celle qui a inspiré " Desolation Row " et " A Hard Rain Is A Gonna Fall " à l'artiste. Entre autres choses, M&A jette sur le Dylan d'aujourd'hui comme sur celui d'hier un éclairage qui met l'artiste en évidence tant dans ce qu'il veut dire que dans ce qu'il veut faire sur le plan artistique. Je ne pense pas que M&A est une réussite en terme de plaisir, de stimulation ou de satisfaction esthétique. La comparaison avec R&C ou même les versions en album des deux morceaux cités vous font comprendre ma prise de position. Mais, hé, il ne peut pas gagner à chaque fois ainsi que le dit Levon Helm sur son album en solo. Je pense qu'il me faudra visionner et écouter M&A à nouveau lorsque j'en aurai un DVD. Peut être parviendrai-je alors à le saisir mieux. A ce titre le site de Trevor Gibb consacré à M&A m'a aidé à mieux comprendre le film.

Par dessus tout, ce film est peut-être le témoignage le plus fort de la volonté de Dylan à suivre sa muse et à continuer à prendre des risques pour s'exprimer y compris sur ce support cinématographique. Quand on connaît le prix payé pour R&C, il faut aussi voir en M&A sa détermination à explorer la réalisation de film. Et je suis le premier à m'en réjouir même si je ne suis pas aussi touché que pour R&C. Et quand je pense que maintenant, il s'attache à écrire. Que Dieu le préserve ! Il peut venir jouer du piano dans mon groupe quand il veut. Même si je sais déjà que le résultat sera meilleur avec son propre groupe, où il joue à sa façon.

Derek Barker : Et à ce sujet justement, puis-je te demander quel jugement tu portes sur sa voix ainsi que ton avis sur son changement d'instrument, de la guitare au piano sur les dernières tournées ? On entend beaucoup de choses sur ses mains.

Paul Williams : Je n'ai pour l'instant assisté à aucun de ses concerts de l'année 2004 pas plus que je n'ai écouté d'enregistrements, j'ignore donc tout de l'évolution de sa voix. J'espère qu'elle est au mieux mais je n'en sais rien. Je suis en tout cas très sensible à la créativité dont il a fait preuve pour compenser les évolutions auxquelles elle est soumise.
La décision de jouer du piano répond essentiellement à des contraintes physiques, celles de la main et du dos aussi. Mais ce changement est peut-être aussi un moyen de contraindre le groupe et son leader à réinventer des morceaux, pour la bonne raison que Dylan imprime un rythme nouveau en jouant non plus de la guitare mais du piano. " Par-dessus tout, je veux faire de chaque chose une nouveauté ". Cette affirmation résume parfaitement la ligne créatrice que Dylan a suivi ces années durant. Mon prochain livre s'ouvre sur un exemple illustrant ce que je viens d'affirmer. L'excellence du morceau et la créativité avec laquelle il est revu, dérive en partie du jeu de Dylan au piano (concert du 27 juillet 2003, Costa Mesa). Je pense que ce changement lui a plu et l'a nourri artistiquement parlant.

Derek Barker : Il me reste à te remercier Paul pour le temps que tu m'as accordé.


Paul a écrit de nombreux livres. Quelques uns abordent d'autres thèmes que la musique. Une liste complète de ses ouvrages est disponible sur paulwilliams.com. Vous pouvez contacter Paul à paul@cdaddy.com pour savoir comment souscrire à l'édition du volume 4, ou aller voir sur son site paulwilliams.com, où sont disponibles les 25 premières pages de ce volume.




Cette interview a été publiée dans Isis et traduite par Agnès Chaput avec l'aimable permission de Derek Barker.
www.bobdylanisis.com


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