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Les liens entre Bob Dylan et Woody Guthrie

Par John B. Way

Chapitre 1 : Dernières et premières pensées
(ISIS no.112)


" Il va d'une côte à l'autre, travaillant, jouant de sa guitare et chantant pour gagner de quoi manger. Ses chansons sont faites de ce qu'il a vu, de ce qu'il sait ou ressent, elles sont les chansons vivantes de l'Amérique ".
Louis Adamic à propos de Woody Guthrie et de son livre autobiographique, " En Route pour la gloire ", dans le Saturday Review daté du 17 avril 1943.




Le hasard fabuleux qui valut à Dylan d'être ainsi réceptif à la vie comme à la musique de Woody Guthrie, alors que tant d'autres influences étaient si évidemment présentes, valait bien cet historique très documenté. Son importance sur Dylan pendant ses années de formation, qu'il s'agisse de la voie suivie par Dylan ou de sa décision de quitter l'université pour se consacrer à sa muse (même si à cette époque encore, sa muse n'était autre que Woody Guthrie), ne peut pas être remise en question.

Il y a toujours eu beaucoup d'ironie dans les choix que Dylan fit autant que dans ses prises de position publiques, mais cette ironie atteint des sommets en ce qui concerne Guthrie, son vrai maître, une vérité révélée au moment même où Dylan tentait de se défaire de l'emprise de Guthrie pour allumer sa propre flamme en véritable pionnier, libre de toute pression marchande ou stéréotype. Il agissait alors à la façon d'un hors-la-loi honnête déambulant dans un monde hostile à toute expression de liberté, un monde qui n'offrait que des carrières et des vies déjà toutes tracées.

La première incursion de Bob au-delà de ces cafés confortables où on interprétait le folk comme à la maison eût lieu à New York dans la prestigieuse " Town Hall " en avril 1963. Par une autre ironie du sort, le concert était présenté par Harold Leventhal, celui-là même qui avait pris en main la gestion ingrate des affaires de Woody Guthrie pendant les années précédentes. Dylan, après avoir commencé le concert par une adaptation un peu terne de deux morceaux inspirés par Guthrie qu'il jouait déjà l'année précédente pour se faire la main, poursuivit par une démonstration merveilleuse des talents d'auteur qu'il s'était forgés depuis son arrivée à New York deux ans auparavant. A l'exception de ces deux clins d'œil, l'un tourné vers le blues, l'autre vers la musique folk anglo-américaine et qu'on retrouve sur son premier album, Bob avait présenté ses propres chansons : soit quelques vingt morceaux, dont plus de la moitié pouvait être facilement considérée comme l'œuvre d'un génie (à 21 ans seulement).

A la fin du concert, sans doute au rappel, Dylan sortit une liasse de feuilles de la poche de sa veste en daim élimée et commença la récitation d'un long poème en prose. (J'avais ça à tout hasard, fit-il, hypocrite), soit quelques 194 vers lancés à vive allure dans une diction claire avec guère plus de pause que ses respirations. Avait-il fait ça auparavant, le ferait-il ensuite pendant les quarante années à venir ? Je ne crois pas. Par chance, le concert était ce soir-là enregistré par la Columbia Records et c'est certainement à ce hasard qu'on doit la publication de ce poème pour la première fois dans " Ecrits et dessins " en 1973. Il reçut le titre de " Dernières pensées sur Woody Guthrie ". Nous ignorons si ce titre a été donné par Dylan lui-même. Il n'a en tout cas rien dit de tel avant la lecture qu'il en a faite au Town Hall Center.

Tout l'impact de ce poème réside dans sa construction. Dylan ne fait qu'une seule référence à Woody. Avant cela, il n'est fait qu'une seule fois mention de sa découverte d'un Dieu. Les vers restants évoquent des moments de la vie du jeune Dylan (ou de tout autre jeune dans cette Amérique des années 60) tandis qu'il vagabonde, s'émerveille, espère, redoute et déteste ce qu'il voit de ces terres arides que sont pour lui devenus les Etats-Unis d'après guerre. " Hé Dieu tout-puissant, ça ne peut pas être la réalité ", dit-il en guise de conclusion. Mais alors où trouver un antidote moral à tout cela ? En 1963, vous avez le choix entre aller à l'église pour y trouver Dieu ou aller à l'hôpital de Brooklyn pour y trouver Woody Guthrie. C'est tout dire de l'importance de Guthrie pour Dylan qui avait trouvé là son évangile, jusqu'en 1979, date de sa conversion au christianisme.

Pour comprendre les raisons qui ont poussé Dylan à composer tous ces morceaux qui " montrent du doigt " (" fingerpointing ") au cours des années 60, pour saisir ses motivations, il faut se plonger dans ses dernières pensées sur Woody Guthrie, ou au moins les relire si on les a oubliées. Elles devaient à l'origine figurer sur un album de 1964, " Bob Dylan in Concert ", mais le projet fut ajourné.
Les dernières pensées parurent finalement sur le " Bootlegs Series Vol 1-3 " en 1991, en grande partie grâce au regretté John Bauldie. Avaient-elles vieillies en 40 ans ? Non. Chaque génération y trouverait son compte. Mais en 1963, il était inutile de trop s'y arrêter tant Dylan était exaspéré par les questions répétées qu'on lui posait sur Guthrie au lieu de comprendre ce que lui, ce jeune homme qui s'était fixé un but, voulait exprimer.
Mais comment faire autrement alors ? L'express s'emballait et Dylan était seul aux manettes, s'il contrôlait quoi que ce soit d'ailleurs. Il n'y avait personne devant lui, ou même à côté. Et la drogue, qui lui permettait de soutenir la vitesse endiablée de ce train infernal, ajoutait au sentiment grandissant de paranoïa qui était alors le sien. Il était à ce point fragilisé qu'il soupçonna une trahison chez un accordeur de piano en 1965. Dylan affirmait que l'accordeur de piano profitait de son appartenance syndicale pour partir à 5h30 précises. Et Dylan de citer Guthrie, en disant qu'il aurait été horrifié par cette parodie du sens de l'honneur chez un syndicaliste. L'accordeur qui n'avait jamais entendu parler de Guthrie n'était pas même capable de prononcer son nom correctement (Boody Guppie, Coody Puppie). Dylan lui-même peinait à dire son nom et devenait de plus en plus confus, jusqu'à jeter l'accordeur à la porte. Dylan se retrouva alors seul et misérable. (cf. " Le pianiste avait le regard torve mais était très honorable " dans Tarantula). Les lecteurs de Tarantula, jamais assez nombreux, n'auront certainement pas oublié que Woody Guthrie lui-même aimait jouer avec les noms de quelques célébrités, le sien y compris.

Sa première tournée en compagnie des Almanac Singers (Lee Hays, Millard Lampell et Pete Seger - Pete Hawes et Bess Lomax Hawes étaient alors absents) en 1941, de Philadelphie à San Francisco, avait été organisée immédiatement après l'enregistrement de deux albums " Sea Shanteys " et " Sodbuster Ballads ".

" Il (Woody) interprétait " Hard, Ain't It Hard ", " The House Of The Rising Sun" et "I Ride An Old Paint". Lee Hays en chantait deux autres, dont " The State of Arkansas " pour la première fois. Woody en amoureux des mots, ne cessait les contrepèteries (tout comme Hays) : " I dodged behind the depot to dodge that prairie wind " devenait " I peed behind the dodgepole ". Les deux phrases étaient à ce point inscrites dans la mémoire de Hays qu'il ne savait plus celle qu'il fallait chanter et celle qui était une boutade.
" Tandis que la Buick les conduisait vers l'ouest, Woody au volant, les deux amis, lui et Hays s'occupaient à jouer avec les mots. " Hoobert Heever ", criait Woody se marrant furieusement, frappant le volant du poing, " Heebert Hoover, Hobert Heeper ".

(extrait de Joe Klein, " Woody Guthrie, une vie ").

La Buick en l'occurrence était une six cylindres de 1929. " From A Buick 6 " effectivement. L'adaptation par Lee Hays de "The State of Arkansas" emprunte non seulement la ligne musicale de "Diamond Joe", mais on y trouve aussi la version originale de l'histoire sans queue ni tête que Dylan interprète dans " East Orange, New Jersey ", sur la bande de Minneapolis de décembre 1961.

Ramblin' Jack Elliot, une autre figure importante dans la vie de Dylan durant ces années 60, se présentait alors comme la parfaite réincarnation de Guthrie dont il interprétait tous les morceaux. (Guthrie n'était pas encore mort mais vous savez ce que je veux dire). Ramblin' Jack Elliot interprétait lui aussi " The State of Arkansas " dans la version de Lee Hays. Il peut avoir servi de source lui aussi, on sait qu'il a inspiré d'autres morceaux. Il avait découvert Woody Guthrie en 1951 en écoutant " The World Of Folk Music " à la radio, une émission d'Oscar Brand, cette même émission dans laquelle Dylan se produira le mois précédent son concert à New York au Town Hall. Depuis lors, Ramblin' Jack Elliot se consacra entièrement à Guthrie. Il fut présent à ses côtés lors des derniers enregistrements de Guthrie en 1953, puis immédiatement après partit pour l'Europe où il fut accueilli à bras ouverts, au point qu'il ne revint pour ainsi dire pas aux Etats-Unis pendant plusieurs années. Il revint finalement en 1961 et se rendit à l'hôpital pour y prendre des nouvelles de Woody. Et, heureux hasard de nouveau, Dylan était alors présent au pied du lit de Woody. La boucle était bouclée. Et tout ce qu'on peut entendre dans les morceaux de Dylan de 1961 à 1963 est tout autant inspiré des disques de Guthrie que de ses échanges avec Jack Elliott.

Quelques années plus tôt pourtant, en 1959, entre le concert de la tournée d'hiver de Buddy Holly à Duluth et son départ pour l'Université du Minnesota, Dylan affirmait :
" Odetta m'a ouvert les portes de la musique folk. J'ai écouté un de ses disques chez un disquaire, à une époque où on pouvait encore écouter les disques sur place. Je suis sorti et j'ai vendu ma guitare électrique et mon ampli pour une guitare acoustique… une Gibson flat top (ndt : Gibson dont la table d'harmonie est plate, par exemple, guitare classique ou folk, par opposition aux guitares dont la table est bombée). C'était un moment déterminant et très personnel. J'ai appris tous les morceaux de cet album. C'était son premier album, il y avait Muleskinner, Jack O'Diamonds, Water Boy (sic), Buked and Scorned…".
(interview du magazine Playboy de mars 1978)

Une partie de cette interview a été imprimée sur la pochette d'un cd de 1996 qui reprend les titres du premier album d'Odetta : " Sings Ballads and Blues " enregistré en 1961. Dylan a peut être exagéré lorsqu'il prétend avoir appris tous les morceaux mais on sait qu'il en a chanté au moins quatre de plus : Another Man Done Gone (le traditionnel qui inspira Baby, Please Don't Go), Easy Rider, Glory, Glory, et Alabama Bound.

Il avait bien sûr entendu le Kingston Trio chanter " Tom Dooley " l'année précédente, ainsi que tous les groupes folks et les chanteurs qui s'étaient inscrits dans cette mouvance. Mais on peut se demander comment lui, l'amateur de Rock'n'Roll a été inspiré par tout ça ? Odetta était très différente, plus réaliste, plus terrienne. Très rapidement, Dylan se met à chanter Sinner Man ainsi que d'autres morceaux teintés de gospel, des morceaux traitant des thèmes du travail (work songs), de la prison ainsi que des vieux blues. Un disque d'Odetta de 1959, " My Eyes Have Seen… ", contient quatre chansons que Dylan a interprétées jusqu'en 1970 : Motherless Children, Down On Me, Saro Jane, et No More Cane On The Brazos ainsi que Water Boy, un morceau absent du premier album d'Odetta en fait. Il s'agissait pour Dylan de nous dire qu'il avait aussi appris cet album-ci par cœur. C'est dans ce Water Boy qu'on retrouve le vers de Jack O'Diamonds repris par Dylan dans un poème en prose au dos de la pochette d'Another Side Of Bob Dylan. N'oublions pas non plus que Jumpin' Judy est devenu " I Wanna Be Your Lover ".

L'année suivante, l'album " Odetta au Carnegie Hall " incluait " Gallows Pole " qui inspira " Seven Curses ", " No More Auction Block For Me " qui fut le point de départ de " Blowin' In The Wind ", et " Hold On " qu'il chanta à l'identique en lui donnant un nouveau titre : " Gospel Plow ".
Quoi qu'il en soit, Odetta tout comme les autres chanteurs de folk, de gospel, de blues ou de country (et d'autres encore) ne faisaient qu'ajouter au répertoire naissant d'un Dylan à l'écoute de tout, mais dont personne ne pouvait saisir l'esprit, les pensées, l'approche intellectuelle ni même l'âme.

" Tu as besoin de quelque chose pour ouvrir une nouvelle porte…Tu as besoin de quelque chose pour ouvrir les yeux…pour faire savoir que c'est toi et personne d'autre qui possède cet éclat que tu portes… ".

C'est Dave Whitaker, son ami, qui en 1959 lui parla du livre de Guthrie " En route pour la gloire ". Dylan en emprunta un exemplaire à un autre ami, une édition originale de 1943, avec des pages qu'il fallait découper à la main. Dylan dut en découper beaucoup avant de partir avec le livre dans lequel il plongea sans difficulté et sans avoir besoin de reprendre son souffle. Un monde nouveau s'ouvrait à lui. Un chapitre en particulier, intitulé " Un gars à la recherche de quelque chose " a réellement pu laisser une empreinte profonde dans la conscience de Dylan :
Guthrie : " Je voulais être mon propre patron. Avoir mon propre boulot quel qu'il soit et me débrouiller tout seul. Je marchais dans les rues au milieu de la poussière tourbillonnante en me demandant ce qui m'attendait, où j'allais et ce que j'allais faire. Toute ma vie n'était plus qu'un grand point d'interrogation. Et j'étais la seule personne au monde à pouvoir répondre…Je voulais regarder les faits d'un peu plus près pour en retirer quelque chose, quelque chose qui ferait de moi un être humain ou quelque chose comme ça : libre de travailler pour moi seul et libre de travailler pour tout le monde ".

Plus loin encore :
" J'écrivais de nouvelles paroles pour des airs anciens et les chantais partout où j'allais…Les gens écoutent la chanson que vous interprétez et se mettent tous à bondir en la chantant avec vous. Lorsque la chanson est terminée, tout prend fin pour recommencer lorsque vous la chantez à nouveau. Sans compter que vous pouvez chanter ce que vous pensez. Vous pouvez raconter des histoires de toutes sortes pour partager vos idées avec d'autres compagnons de rencontre.
Et là dans les plaines du Texas, en plein cœur du Dust Bowl, (…) je réalisai qu'il y avait de quoi écrire une multitude de chansons… j'ai écrit des chansons sur ce qui à mon avis, allait mal, sur les possibilités de corriger ça, des chansons qui disaient ce que tout le monde pensait dans ce pays. Et cela m'a permis de tenir bon jusqu'à ce jour ".


Je l'ai déjà dit en introduction, les documents ne manquent pas sur le sujet. Je n'ai pas besoin d'entrer dans les détails avant de voir comment Dylan a fait usage des morceaux de Guthrie pour mettre en évidence l'influence qu'ils ont eus sur sa production personnelle. Suivent donc quelques citations reprenant ce que Dylan a publiquement dit de Guthrie, avant ce qu'on appelle les " Dernières Pensées ".

" La seule musique que j'écoutais avant mon départ pour le Minnesota, c'était…- je n'avais alors jamais écouté de folk - j'écoutais uniquement de la country, des musiques Country and western, du rock'n'roll et de la polka…Odetta a suivi, puis toutes les étapes par lesquelles je suis passées… Josh White… jusqu'à la rencontre avec Woody Guthrie, qui avait une tonalité si étrange… et qui manifestement ressemblait à… tu sais, qui te ressemble dans une certaine mesure. J'ai alors épuisé le répertoire de Woody Guthrie.

Question : " Y a t-il eu quelque chose de spécial après Guthrie ? "

Réponse : " Euh, non, non, pas vraiment. Guthrie n'a pas vraiment d'influence… sur ce que je fais maintenant… Son influence plane sur mon premier disque, sur le deuxième et le troisième. Cette influence s'estompe dans le quatrième… Quand je parle d'influence, je pense à une influence totale, que ce soit dans l'écriture ou dans l'interprétation… Son influence… résidait dans la façon de parler. Son influence est présente encore dans les thèmes abordés, dans le phrasé, dans des trucs comme ça. Mais à l'heure actuelle, il n'y a pas de véritable influence ".
(A Nat Hentoff, Bureaux de Columbia, New York, Octobre ou Novembre 1965).

" Plus tard, j'ai découvert Guthrie. Il m'a ouvert les portes d'un monde nouveau. J'avais alors 19 ou 20 ans (sic)…. J'étais excessif quand il s'agissait de ce que je voulais faire, et très logiquement, après avoir appris 200 de ses chansons; j'ai voulu voir Guthrie ".
(A Ron Rosenbaum, Burbank, Nov-Dec 1977, pour Play Boy à nouveau).

" Je n'écoute qu'un certain type de musique, mais une partie de la musique que j'écoute a profondément changé ma vie. Je ne jouerai pas la musique que je joue aujourd'hui si je n'avais pas écouté Guthrie ou d'autres comme lui. Mais aujourd'hui, ceux qui m'écoutent les ont-ils seulement entendus ? Aussi lorsque je suis en train de changer et que les gens se demandent ce qu'il va nous faire maintenant, c'est qu'ils ne savent rien de mes racines ".
(A Philip Fleshman, Maclean's, 20 mars 1978).

Question : Ne peut-on pas établir un rapprochement entre ces fans qui essayent de vous rencontrer et cette rencontre que vous avez provoqué en allant voir Woody Guthrie à l'hôpital dans le New Jersey ?

Réponse : Non, personne ne venait le voir lorsque j'y suis allé. Il était malade. Plus personne n'entendait parler de lui à cette époque, à l'exception de quelques musiciens folk. Je suis allé le voir mais ça n'avait rien à voir avec une visite au roi, vous comprenez. "
(A Karen Hughes, Boulevard Hotel, Sydney, Australie, 1er avril 1978).

(Le Brooklyn State Hospital se trouve à New York bien sûr mais de 1956 jusqu'en 1961, date de la visite de Dylan, Guthrie était hospitalisé au Greystone Park, à Morris Plains, au New Jersey. Deux années durant cependant, il avait fait l'objet de soins privés chez Bob et Sidsel Gleason à East Orange, à l'endroit même où Dylan avait fait ses premiers enregistrements après son arrivée à New York. Guthrie était ensuite très rapidement retourné à l'hôpital de Brooklyn où il avait demandé lui-même à être hospitalisé et soigné à plusieurs reprises entre 1952 et 1954).

" A mes débuts, j'ai inconsciemment mélangé les styles de différentes personnes. J'ai mélangé Sonny Terry, les Frères Stanley, Roscoe Holcomb, Big Bill Bronzy, Woody Guthrie… Tous ces morceaux qui me tenaient à cœur. D'autres essayaient de faire des répliques exactes de ce qu'ils entendaient. Je le faisais mais à ma façon, parce que techniquement, je n'étais pas aussi bon qu'Erik Darling ou Tom Paley. Je n'avais plus qu'à prendre ses chansons pour les interpréter à ma façon... "
(A Robert Hilburn, dans les coulisses du Walbühre, le 13 juin 1984, publié dans le Los Angeles Time).

" Si je suis fier de quelque chose, c'est de l'attention que j'ai attiré sur Woody Guthrie qui était alors peu connu, un peu à la façon de ce que les Rolling Stones ont apporté à Howlin' Wolf. C'est grâce à des gens comme Woody que j'en suis là aujourd'hui. Cette rencontre providentielle avec Woody m'a ouvert l' esprit en grand ".
(A Mikal Gilmore, Hollywood, septembre 1985, publié dans le Los Angeles Herald Examiner).

"Je n'ai pas connu Woody quand il voyageait encore… Je l'ai connu sur ses derniers jours. Il était souvent installé dans un fauteuil roulant d'où on le conduisait ici ou là. Sa situation s'était considérablement détériorée depuis l'époque de ses vagabondages. C'était effrayant… Pour moi, c'était un pèlerinage autant qu'un voyage. Je faisais ce que j'avais voulu faire mais ça se résumait à ouvrir des portes ou des trucs comme ça. Mais je me souviens encore du Woody que j'ai vu à l'hôpital, je me souviens que parfois ils le sortaient de là. C'est ce Woody-là que j'ai en mémoire… Il chantait… Il chantait une chanson et nous en jouions pour lui… C'est si loin maintenant, pourtant on dirait que c'était hier… ".
(Bob Dylan, émission spéciale 45ième anniversaire, WBAI-FM, NIC, 22 mai 1986).

Il y eut encore l'hommage rendu à Woody Guthrie par Dylan lors d'interviews accordées à la radio BBC2 en 1987. Pris dans son ensemble, les enregistrements constituent le commentaire le plus exhaustif accordé par Dylan au sujet de l'influence de Guthrie sur son œuvre. Et cela 24 ans après les " Dernières Pensées ". Une partie de ses propos a été imprimée sur la pochette de l'album hommage " A Vision Shared " du Smithsonian/Folkways pour lequel Dylan a enregistré " Pretty Boy Floyd " de Guthrie. Le commentaire final de Dylan prend tout son sens :
" Il y avait de l'innocence chez Woody Guthrie, une innocence que je n'ai jamais retrouvée. Je sais pourtant que c'est ce que je recherchais. Il s'agit peut être d'un rêve ou de la réalité, qui pourrait le dire ? Mais il y avait cette sorte d'innocence perdue. Quelque chose qui aurait pris fin en même temps que lui. "
(Probablement enregistré en juin 87 mais diffusé lors de l'émission d'octobre 1987)

J'ai établi une liste des chansons de Woody interprétées par Dylan, et plus particulièrement des morceaux disponibles en enregistrements de collectionneur ou privés, en public ou en studio, officiels et officieux. Eu égard à l'affirmation de Dylan selon laquelle il aurait appris 200 de ces chansons, j'ai recensé 31 morceaux en circulation. Un nombre qu'on peut arrondir à 35 en tenant compte des adaptations par Guthrie de morceaux plus anciens, puis à 54 si on inclut d'autres morceaux que Dylan a appris (ou peut avoir appris) de Guthrie. Un nombre non négligeable et qui en dit long sur le nombre plus grand encore de morceaux en circulation dans les circuits fermés ou plus simplement compte-tenu des affirmations peut être exagérées de Dylan lui même. Comme il se plut à le dire lors de interview donnée pour la BBC citée ci-dessus :
" J'étais le juke-box de Woody Guthrie ".

Dans la seconde partie de ce commentaire j'étudierai les morceaux de Guthrie interprétés par Dylan au fil des années.







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