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Une affaire de cœur, par Nick Hawthorne

Quelle belle chanson que Boots Of Spanish Leather.
Je suis tombé sous son charme dès la première écoute de la version tendre et mélancolique de l’album. Et cet amour n’a cessé de croître avec le temps. J’ai aimé de nombreuses versions live de cette chanson, mais aucune autant que celle offerte par Dylan lors de la tournée européenne de l’automne 2003 lors du concert de Hambourg le 18 octobre.

Helsinki a été la première ville européenne à recevoir le nouvel arrangement à la tonalité dramatique lors de la première nuit de cette tournée européenne. Le public avait senti qu’il se passait quelque chose de particulier ce soir là. A peine Bob eût-il terminé de jouer ce morceau lors des deux concerts donnés aux célèbres docks de Hambourg, que les purs et durs dylanophiles en faisaient le sujet de leurs conversations. Mais c’est là que s’arrête l’histoire, car je voudrais d’abord revenir pour quelques instants là où tout a commencé.

Le débat autour de Dylan et la poésie m’a toujours frappé par sa singularité.
Ce besoin désespéré de définir le travail de Dylan oublie l’essentiel. Il semblerait effectivement que beaucoup n’ont pas conscience que Dylan est cette sorte de poète qui n’a pas besoin d’écrire de la poésie. Dylan a très justement dit un jour : « Je me considère d’abord comme un poète, ensuite comme un musicien. Je vis comme un poète et je mourrai comme un poète ».

Cette déclaration de Dylan au sujet de la perception qu’il a de son âme ne suffit pourtant pas à apaiser le débat qui fait rage autour de la nature de son travail. Pour moi, les choses sont claires. Dylan n’écrit pas davantage de poésie que John Donne n’écrit de chansons. Dylan écrit des chansons. Il écrit en prose et a parfois fait naître quelques poèmes exceptionnels, des poèmes qui peuvent aussi bien être lus à voix haute ou lus pour soi. Last Thoughts on Woody Guthrie est un exemple manifeste des poèmes à lire en silence tandis que Tarantula illustre bien les pièces supportant les lectures à pleine voix. Last thoughts est un travail sans support musical, écrit pour lui seul et qui existera à jamais sous cette forme unique de phrases lues.

Il n’y a pas de honte à dire de Dylan qu’il écrit des chansons, ce dont pourtant beaucoup jusqu’à Dylan lui-même semblent effrayés. Les poètes et la poésie jouissent d’une crédibilité artistique qui ne profite pas aux auteurs de chansons, pas au point de pouvoir être considéré comme le grand artiste d’une génération voire plus. Et pourtant Dylan ne sera pas oublié et pour plus d’une raison. Parce qu’il aura été un auteur novateur, éblouissant, un interprète inégalé et émouvant, et un musicien au talent dévastateur. Est-il important par conséquent que l’histoire retienne Dylan comme un grand poète ?

Quelques unes des chansons de Dylan résistent pourtant à l’absence de la musique qui avait été écrite pour elles où à l’interprétation qui leur a donné vie. Boots of Spanish Leather est l’une d'entre elles. Si vous avez les paroles à proximité, faîtes-en une lecture à voix haute. Le fait est que la chanson, même privée de son oxygène, ne perd rien de sa puissance. Mais pourquoi se contenter de la lecture quand on la musique et l’interprétation en plus ? Et pas seulement une musique ou une interprétation, mais tant et tant de versions en quarante ans d’interprétation.

Soit dit en passant, les trois composantes sont-elles égales ? L’interprétation, les paroles et la musique. Si la réponse est non, quelle est la partie la plus importante ? Sur le pool de Dylan (un site ou les fans discutent de tout à propos de Dylan), quelqu’un a récemment dit pour continuer à défendre la voix pourtant détériorée de Dylan et ses capacités vocales désormais désastreuses : « La voix de Dylan n’est pas l’art de Dylan. Ses chansons sont son art ».

C’est une de ces remarques qui m’arrêtent net. J’ai su d’emblée en la lisant que le parti-pris était erroné. Posez vous la question : que préférez-vous, d’autres artistes interprétant Dylan, ou Dylan interprétant les morceaux des autres ? Je suis à peu près certain que 99% des lecteurs choisiront la seconde proposition. Ce qui veut clairement dire que sa voix fait son art, ou au moins une part intrinsèque de son art. L’écriture est aussi partie prenante mais toute proportion gardée, de façon moins radicale que la voix.

On peut donc légitimement se demander pourquoi nous recevons année après année des écrits toujours plus substantiels, toujours plus fouillés, plus denses sur le pouvoir des paroles de Dylan disséquées d’un point de vue littéraire et critique. Andrew Muir, Michael Gray et C hristopher Ricks nous ont récemment offert un ouvrage excellent et fouillé consacré au caractère littéraire du travail de Dylan. Ce qui rend d’autant plus désolant l’absence de tout ouvrage consacré au Dylan chanteur, Dylan musicien et Dylan artiste de scène.

Paul Williams s’est intéressé à l’artiste de scène, de même qu’Andrew Muir avec Razor’s Edge. Je note néanmoins que ces ouvrages-là sont moins nombreux, parce qu’ils ne pèsent pas aussi lourds que les mots. C’est certainement ce qui vaut à un livre aussi faible et tiède que Do You, Mr Jones ? non seulement d’être publié mais qui plus est de recevoir une large couverture de diffusion dans les médias ! Je digresse mais ce n’est pas sans lien et ça apporte de l’eau à mon moulin.

La puissance de Boots of Spanish Leather vient de ce que Dylan excelle dans les trois domaines. L’écriture est belle, tout comme la mélodie et l’interprétation. Et tout ça avec un sujet piège autour duquel il s’évite pourtant les pièges du sentimentalisme ou des clichés insipides. C’est cela que l’art s’efforce d’atteindre, de capturer et c’est ce que Dylan est parvenu à faire brillamment à plusieurs reprises. C’est tout l’art de donner un reflet de la condition humaine depuis ses plus bas degrés jusqu’à ses cimes les plus élevées. Notre existence passée, présente et future définit l’humanité de notre condition, au contraire des animaux. Le temps, le plus cruel des pièges ou la plus forte des épreuves, lui qui donne aux hommes le sentiment de vivre perpétuellement dans le présent, un présent hanté par la mémoire du passé ou encore effrayé par les spéculations jetées sur un avenir encore inconnu.*

Holy Grail est de ces artistes qui ont su capturer l’essentiel de cette notion qu’est le temps et que sont les relations humaines dans cet espace-temps, dans des chansons comme des poèmes.

C’est aussi ce que Dylan a recherché dans « Blood On The Tracks » avec une chanson comme Tangled Up In Blue. C’est ce qu’il est parvenu à faire avec Boots Of Spanish Leather, écrite en 1963 alors qu’il n’avait que 21 ans :

Oh I’m sailin’ away my own true love
I’m sailin’ away in the morning
Is there something I can send you from across the sea
From the place I’ll be landing?


Ces mots d’introduction sont interprétés avec une tristesse sans pareil sur la version de l’album. Une habileté de Dylan sur laquelle je reviendrai plus tard. Nous sommes si nombreux à vivre le présent avec difficulté. Le passé est pour chacun si encombré de regrets, de chagrins d’amour perdus, d’amis perdus et de souvenirs glacés. Boots Of Spanish Leather dépeint avec beauté le chagrin ressenti lorsqu’un amour disparaît, tout ces mots tus parce que trop douloureux à dire.

Revenons à cette habileté que je mentionnais plus haut. La chanson se décline sous la forme d’une conversation, le premier vers chanté l’est par le chanteur amoureux qui est à ce moment précis l’amoureux rejeté. La douleur de Dylan habite le premier vers, traduisant aussi bien les sentiments de la femme aimée qui parle que ceux du chanteur lui-même.

Le chanteur entre clairement dans son rôle à elle dès les premiers vers :

Oh I’m sailin’ away

La beauté de ce vers tient tout autant aux mots qui le composent qu’à ceux qui n’y sont pas.

Lorsque ensuite vous entendez :
Oh I’m sailin away my own true love
Vous pouvez presque entendre le mot “de” au cœur de la phrase comme si elle disait:
Oh I’m sailin’ away FROM my own true love.

C’est elle qui annonce son départ à celui qu’elle aime, tout comme elle s’avoue la vérité de la situation, la donnant à entendre à celui qui écoute. Dylan interprète successivement le rôle des deux personnages. Un exploit remarquable. Les six premiers vers de la chanson sont ainsi rédigés sur le mode de la conversation, chaque vers étant tour à tour interprété pour le compte de l’amoureuse puis pour celui du chanteur lui-même, et chantés au moment où elle est déjà partie. Cette partie de la chanson est fermement ancrée dans le présent en même temps qu’elle annonce déjà l'avenir, le « sailin’ away », et évoque déjà le passé de cette relation.

La situation nous apparaît clairement, à nous auditeurs, alors que le jeu se déploie tout juste entre les deux amants bientôt désunis. Elle annonce son départ. A aucun moment, elle ne parle de son retour. Et l’auditeur a clairement le sentiment qu’elle annonce une absence de longue durée. Elle nous le fait savoir en évoquant ce voyage « au-delà des mers ». Dylan nous fait très vite sentir qu’il n’y a rien d’anodin. La voix chargée de tristesse nous dit assez qu’il ne s’agit pas d’un simple voyage de quinze jours.

La strophe n°2 bascule à la première personne et apporte la réponse à cette nouvelle dévastatrice tout juste reçue, cette nouvelle parsemée de non-dits, cette nouvelle et tout ce qu’elle implique. Le choix de la conversation est très pertinent et pas uniquement pour la direction qu’il imprime au récit, mais aussi par ce canevas émotionnel qu’elle tisse doucement.

La strophe 2 nous donne à lire plus clairement encore la posture adoptée par le chanteur par rapport à son amour. N’envoie rien - que pourrait bien valoir le matériel à ce point de notre vie ? un souvenir ? Je ne veux que la réalité, le palpable. Je veux ton retour à la maison auprès de moi à qui tu appartiens.

No, there’s nothin’ you can send me, my own true love
There’s nothin’ I wish to be ownin’
Just carry yourself back to me unspoiled,
From across that lonesome ocean


L’amour seul a de la valeur, pas les objets. La strophe se construit merveilleusement bien autour du mot : intact « unspoiled », un mot qui suffit à nous dire beaucoup, un seul mot . Le départ d’un amour pour un autre pays que ce soit dans un but touristique, professionnel ou étudiant, suppose l’émergence de tant d’éléments nouveaux que mille choses viennent à l’esprit, mille craintes. Ces craintes sont le fruit de la décision d’un départ pris par cet amour. Il y avait à choisir entre vous et autre chose, et vous n’avez pas été choisi.

Les esprits optimistes essaieront bien de penser que cette relation a un avenir en dépit de la somme de preuves qu’ils ont sous les yeux. L’amour reviendra veulent-ils croire. Mais sera-t-il le même ? Aura-t-il changé ? Le voyage, les rencontres qu’elle aura vécus sans vous l’auront-elles dérobée à ce qu’elle était ?

C’est ce que suppose l’usage de ce mot intact. La strophe nous montre le double visage du chanteur, un homme encore plein d’illusions mais déjà placé face aux réalités. La chanson entière parle de deux personnes qui n’ignorent rien des pensées l'une de l’autre mais sont effrayés à la seule pensée de les dire.

La strophe tourne également autour du verbe « posséder » (ownin’), un autre mot clef de la chanson. La notion de possession revient souvent en amour comme lorsque par exemple l’un des deux individus lance à l’autre « je ne t’appartiens pas ». L’usage de ce mot dans la chanson ne concerne pas la possession de l’un par l’autre mais la possession de biens matériels. Le mot en dit long sur la situation des deux protagonistes. Il semble que l’un aime davantage que l’autre. La puissance des amours partagés n’est jamais égale, une vérité douloureuse qu’Ani Di Franco dépeint avec justesse dans « Sorry I Am » :

I guess I never really loved you
The way that you loved me
And I Guess I’ll never be able to tell you
How sorry I am


Le jeu continue à se déployer dans la strophe n°3:

Oh, but I just thought you might want something fine
Made of silver and gold.


L’amante sait pourtant que tout ce que le chanteur désire c’est elle et pas “quelque chose de joli”. Elle n’a pas la conscience en paix et cherche un moyen de gommer la douleur de la situation. C’est aussi là que nous apprenons la destination de l’amante :

Either from the mountains of Madrid, or the coast of Barcelona

Le projet de ce voyage en Espagne incluant les visites de Madrid et de Barcelone nous indique qu’il ne s’agit pas d’une escale. Il ne s’agit pas exactement d’une ville voisine. Rien n’est clairement dit mais tout est déjà implicitement suggéré.

Le chanteur redit son désintérêt pour le matériel dans la strophe n°4. Il est bien au-delà des possessions matérielles et le prouve en plaçant la profondeur de son amour au-delà de tout objet en or ou en argent, les « étoiles de la plus sombre des nuits et les diamants du plus profond des océans » y compris.

Les deux dernières des six strophes sur lesquelles se déploie la conversation nous font faire un pas supplémentaire. L’amante dévoile plus avant ses intentions, confirmant les craintes et les doutes de celui qui aime, et ce que nous-mêmes nous avions pressenti :

That I might be gone a long time

Le suspens prend fin et le coupable s’apprête à dévoiler son crime :

Is there something I can send you to remember me by ?

La vérité est dite, les mots ont été prononcés. La gravité de la situation est exposée mais troublée encore par le vers suivant, un vers doux amer :

To make your time more easy passin’

Ce vers-là peut laisser penser qu’un retour est possible et qu’ils pourraient reprendre leur amour là où ils l’ont laissé, ce qui est une absurdité. Le chanteur donne la réponse dans le dernier vers de la strophe 6. Il connaît la vérité et s’en trouve désespéré :

Oh, how can, how can you ask me again

La répétition de ce “oh, comment, comment peux-tu encore me demander cela” ajoute à l’intensité de la blessure et du désespoir ressenti par le chanteur. Ce sont ces moments où nous nous mentons à nous-mêmes parce qu’incapables de regarder la vérité en face. Le chanteur ne peut que réaffirmer son parti pris : « je ne veux que toi ».

L’histoire est maintenant connue. Le chanteur se dévoile dans les trois dernières strophes. Ce changement de narrateur participe à l’intensité de la chanson. Nous passons du statut de voyeurs à celui d’interlocuteurs auxquels l’histoire sera racontée.

Dans la septième strophe, le chanteur a reçu une lettre provenant du bateau. Nous savons que les nouvelles ne sont pas bonnes. Nous le savons d’emblée par l’usage du mot solitude en ouverture. Ces jours sont effectivement marqués de tristesse et de solitude. Les mots n’engagent encore à rien et tentent encore de nous éloigner des sentiments du chanteur. L’amant s’évite encore la cruauté de la situation :

Saying I don’t know when I’ll be coming back again
It depends on how I’m feelin’


Les deux dernières strophes nous montrent que le chanteur se décide à accepter la réalité. Il n’est désormais plus aveuglé par l’amour et peut enfin dire ce qui doit être dit, tout ce qui est supposé depuis le commencement.. Rien n’est clairement dit mais on peut raisonnablement penser que ces deux strophes sont des extraits d’une lettre que le chanteur a écrit en réponse à son ex-amante. On peut aussi penser qu’il n’a jamais répondu, et que ces deux dernières strophes ne sont que des salves orales. L’idée d’une lettre prend toutefois plus de sens. Nous avons assisté à une conversation, une lettre suit maintenant.

Dans la huitième strophe, le chanteur écrit des mots douloureux. Tout ce que l’amante a dit auparavant laisse clairement deviner que la relation n’a désormais plus d’avenir. Ce n’est pas un au revoir mais bien un adieu :

Well, if you, my love, must think that-a-way
I’m sure your mind is roamin’
I’m sure your heart is not with me
But with the country to where you’re goin’


Il est clair qu’elle court le monde. Dans les faits, aussi bien que subjectivement ou avec le cœur. Dire ou écrire ses mots a beaucoup coûté au chanteur. La douleur, perceptible dans les premières strophes, est ici tangible.

La dernière strophe est l’une des plus fines écrites par Dylan. Il excelle dans la construction des chansons, leur insufflant un rythme parfait, donnant à l’auditeur tous les détails utiles à la construction des personnages, aussi bien dans le dit que dans le non- dit. Il parvient encore à marier tout cela à la perfection avec l’interprétation, la musique et la mélodie. D’autres chansons comme Love Minus Zero/No Limit , Idiot Wind et The Lonesome Death of Hattie Carroll , sont trois exemples parfaits de chansons offrant une strophe finale bouleversante.

Le lexique romantique emprunté au folk traditionnel tout au long de la chanson, comme les « Oh… » , les tournures de phrases (I’m a feelin it my own true love ) ; d’autres mots comme celui de solitude sont utilisés avec succès dans chaque phrase introductive :

So take heed, take heed

Ces lignes prennent une signification toute particulière par leur place même dans la chanson. La chanson nous a livré le spectacle de cette danse disgracieuse et maladroite des non-dits interprétés par les deux amants, chacun prenant tour à tour la parole sans jamais être entendu. En prenant le taureau par les cornes dans cette strophe pour dire ce qui doit être dit, le chanteur se sent désormais le droit d’offrir quelques mots de prudence à celle qu’il aime. Il lui recommande finalement d’écouter.

So take heed, take heed of the western wind
Take heed of the stormy weather.


Ce vers a plusieurs significations. Il s’agit tout autant d’être attentif à ce qu’il dit qu’aux vents de l’ouest et ses fortes tempêtes. Le vers final offre à lui-seul le dénouement magnifique de cette chanson, c'est l’un des plus puissants écrits par Dylan :

And yes, there’s something you can send back to me
Spanish boots of Spanish leather


Les vers précédents ce final ont peint avec force détails le voyage du chanteur et de son amour. Tout, des vérités, des mensonges, des regrets, de l’amour et de la douleur. Tout est si réel; tout prend corps jusqu’à ces mots doux-amers de mise en garde avant que finalement le chanteur accepte de répondre à la question initialement posée dans le premiers vers. Le chanteur a accepté la situation. Il ne se cache pas la vérité plus longtemps et sait désormais que son amour ne reviendra pas. Sa demande consistait d’ailleurs à savoir s’il voulait que quelque chose lui soit envoyé (send) et non rapporté (bring). Ce premier vers aurait dû éveiller les soupçons du chanteur puisque son amour se proposait de lui envoyer quelque chose et non pas de le lui rapporter.

Et quel cadeau pourrait elle envoyer d’Espagne à un homme qui doit désormais aller son chemin et qui a besoin pour cela d’être décemment chaussé ? En suggérant les bottes, le chanteur referme la relation amoureuse en même temps qu’il s’offre le plaisir du dernier mot, même si la chanson ne laisse transparaître à aucun moment le moindre signe de désir de vengeance ou d’amertume. Le vent idiot ne souffle pas autour de ces personnages.

La chanson est magnifiquement construite, magnifiquement écrite. Il y a ce mélange subtil de simplicité et de complexité à l’image de ce qu’est la condition humaine. La chanson atteint cette symbiose en à peine 36 vers et cela avec poésie, en touchant à l’intensité des émotions. Il ne s’agit pourtant pas d’un poème, en dépit des évidences. Car le meilleur vient plus tard. La plupart des détails pourtant perceptibles à la lecture ne prennent vie qu’avec le chant.

La version de 1963, disponible sur l’album « The Times They are A-changin’, est chantée avec une maturité et une tristesse remarquables par ce jeune homme d’à peine 22 ans. On se surprend parfois à penser à Dylan comme un homme sans âge, de même qu’on s’étonne de la distance qui nous sépare de ses premières œuvres, à un moment où il était pourtant si jeune. Une réflexion de cet ordre nous ramène à ce que Dylan ajoute à ce sujet, espérant ne jamais être autrement qu’inscrit dans le temps présent. Et il l’est mais il suffit d’écouter les versions originales de chansons comme Boots of Spanish Leather. Il étire le mot à l’infini sur le « a » de Spanish, lui conférant une emphase délicieuse. C’est la clef de voûte de l’ensemble, il le sait et lui donne par conséquent l’interprétation adéquate.

Quelques une des performances en public valent le détour. Survolant ma collection, j’en ai extrait la version du printemps 1963 au Sud Terkel’s Wax Museum avant même la réalisation de Freewheelin’. Là, Dylan donne une lecture franche du morceau qui trouve son intérêt dans ce qui était encore sa timidité de l’époque. Lorsque la chanson est présentée comme celle d’"un garçon rencontrant une fille", Dylan corrige son hôte en précisant que la chanson est celle d’"une fille quittant un garçon". Cette précision plaçait d’emblée Boots Of Spanish Leather dans un camp inhabituel. Il y a peu de chansons évoquant des filles quittant un garçon. Je pense qu’il doit y en avoir beaucoup sur l’infidélité des filles ou sur les ruptures voulues par les garçons. Lorsque Dylan annonça le titre, le présentateur crut qu’il s’agissait du traditionnel « Gipsy Davy », une chanson que Dylan avait joué en 1961, et pour laquelle il enregistrerait une variante sur l’album de 1993 Good As I Been To You . Sur cet album, la chanson apparaît sous le titre « Black Jack Davy » avec ces vers :

Well she pulled off her high heeled shoes
Made of Spanish leather


On peut raisonnablement penser que Dylan a trouvé l’inspiration dans ces lignes, pourtant quelque peu différentes dans Gipsy Davy. En 1961 Dylan chantait :
Blueskin gloves made of Spanish leather
Quoi qu’il en soit, après s’être mis d’accord avec son hôte sur le titre, Dylan corrigea encore : « Non, non, pas seulement pour ça, mais parce que j’ai toujours voulu une paire de boots en cuir espagnol ».

Tout cela fut dit avec ce phrasé saccadé, nerveux et rieur que Dylan avait lors de ses premières prestations radiophoniques, plus ou moins confiant, timide aussi, gêné et charmant, tout à la fois.

Cette chanson n’a pas été jouée pendant 25 ans, durant les années glorieuses de Dylan, les 60’s, 70’s, et plus près de nous les 80’s. Elle a fait un retour miraculeux lors de la première nuit de ce qui a été depuis appelé le Never Ending Tour, vingt-cinq ans d’une traversée du désert puis soudain la renaissance.

Sa réapparition survient à un moment où Dylan revient volontiers à la forme folk qui avait vu naître Boots Of Spanish Leather.

La chanson tient son fingerpicking traditionnel de Girl From The North Country , qui elle-même est issue des arrangements de Martin Carthy sur « Scarborough Fair », qui eux mêmes étaient inspirés d’un chant traditionnel « The Elfin Knight »….et ainsi de suite….

Girl From The North Country et Boots Of Spanish Leather sont toutes deux des chansons narratives, des chansons d’amour basées sur la même mélodie, toutes les deux écrites selon la forme des ballades folk anglaises ou écossaises. Ces deux chansons offrent à Dylan l’opportunité explicite d’écrire dans un style très éloigné de celui d’un folk américain qui prédomine habituellement, loin même des influences blues, loin encore des influences apportées par Woody Guthrie.

Martin Carthy a dit peu après dans une interview : « Nous avons aussi apporté aux chansons américaines…Les anglais ont modifiés l’écriture de Dylan. Le premier album de Bob Dylan tenait pour beaucoup du blues et de quelques éclats des traditionnelles chansons folk américaines. Son second album, Freewheelin’, était quasiment terminé lorsqu’il est venu en Angleterre en 1962. A son retour il écrivit toutefois deux morceaux pour le compléter. Bob dylan’s Dream était l’une d’elles et venait selon moi d’une chanson appelée Lord Franklin. Girl From The North Country était l’autre, directement inspirée par Scarborough Fair. Boots of Spanish Leather, de The Times They Are A-Changin’ a elle aussi de l’Angleterre en elle… Je ne sais pas précisément mais j’ai cette intuition. C’est l’album tout entier qui part dans cette direction. Les tonalités sont plus riches, il a pris beaucoup de ce côté de l’Atlantique. Dylan fonctionnait comme un papier buvard, ce qu’il fait encore. Il écoute, absorbe tout ça et le ressort sous une forme différente »

Cette dernière phrase s’ajuste parfaitement à l’ensemble de la carrière de Dylan, voire est on ne peut mieux adaptée à son oeuvre la plus récente « Love and Theft » .

Revenons à 1988, au lancement donné à cette tournée remarquable, à ce moment où Dylan replongeait dans cet ancrage traditionnel. Un fait saillant du NET de 1988 à 1992 tient au nombre de chansons traditionnelles que Dylan retravaillait soir après soir. Il n’y a pas de hasard et Boots of Spanish Leather trouvait tout naturellement sa place aux côtés d’autres chansons traditionnelles comme Barbara Allen et Eileen Aroon. Elles étaient toutes issues de la même tradition. Il n’est pas surprenant non plus que Dylan enregistre deux albums de titres traditionnels en 1992 et 93, y compris « Black Jack Davey », morceau présenté comme la source d’inspiration possible de Boots of Spanish Leather.

C’est ce moment que choisit Dylan pour jouer une version de « Farewell to the Gold » ou encore « Canadie-i-o » sur Good As I Been to You, les deux clairement inspirées par Nic Jones.

Nic Jones est un chanteur folk anglais et un guitariste éblouissant, ces deux chansons étaient inclues sur son dernier album « Penguin Eggs ». Je devrais dire qu’il « était » un chanteur folk éblouissant puisqu’il a depuis été gravement touché par un accident de la route en 1982 et a du se mettre en retrait en raison du coma qui a suivi. Une vraie tragédie. La seule chanson de Dylan jouée par Nic Jones est, vous l’aurez deviné, Boots Of Spanish Leather. Et dans une jolie version qui plus est. Et si vous l’ignorez vous n’avez aucun moyen de savoir que cette chanson n’est pas contemporaine. Au mieux vous saurez dire qu’il s’agit d’un Dylan. Dylan était bien connu pour ses morceaux surréalistes, son apport de poésie dans la pop music. La version de Jones pouvait habilement prendre place dans une collection de ballades folk anglaises ou écossaises.

Après sa réintroduction en 1988, Boots of Spanish Leather est devenu un morceau habituel du NET. Il faut écouter la magnifique version du show du 14 juin 1999 en Oregon. C’est un bon exemple du type d'interprétation que le NET a fait naître . La chanson est jouée assez fidèlement à la version originale, tendrement accompagnée à la guitare acoustique par un Dylan donnant une interprétation vocale chargée de tristesse. Je peux difficilement imaginer une version plus poignante, plus fidèle à tous les thèmes abordés dans la chanson. On retrouve ce même appui donné au Spanish final lorsque Dylan chante :

« Spanish Boots of Spaaaaaaaaaaaaanish leather »

Les arrangements de ce morceau, la mélodie, les inflexions de la voix, l’humeur semblent définitivement fixés. Les arrangements de 88 gagneront en saveur, sans qu’il y ait de réaménagements majeurs. La chanson n’ayant pas été jouée de 1966 à 1988, il lui manque toutes ces tournées qui s’étaient fait une spécialité des ré-arrangements de chansons. Le résultat aurait pu être intéressant en 1966, 75 ou même en 78 mais nous ne le saurons pas.

Et nous voici donc en 2003. Une année sans lustre particulier dans la carrière de Dylan. J’ai tendance à penser que 1988-92, 1995, 1999-2000 et l’automne 2002 constituent les années remarquables du NET. Un constat d’autant plus remarquable que toutes ces années signaient un réel déclin des performances vocales de Dylan. Un déclin particulièrement prononcé en 2001, 2002 et plus que jamais en 2003.

Les spectacles du printemps et de l’été 2003 ne laissaient rien présager de bon en terme de performance vocale.

Dylan, après nous avoir torturé avec ce que nous appellerons désormais sa voix « sing song » qui grimpait dans les notes à chaque ligne de façon tout à fait prévisible et donc irritante, ôtant aux chansons toute leur puissance, développa une voix nouvelle, plus agaçante encore qui consistait en une longue plainte étouffée, qui nous donnait le sentiment d’écouter un homme en train d’avaler sa langue tout en parlant. Il combinait ce style avec le sing song pour descendre toujours plus bas dans la contre- performance.

Les interprétations acoustiques semblaient devoir appartenir définitivement au passé bien à l’abri de nos mémoires. Jusqu’en 1993, et à l’exception de quelques années, Dylan n’interprétait plus que très occasionnellement des morceaux en acoustique. Ce parti pris jusqu’à la date butoir de 93 et plus précisément dans les dernières années, n’a pourtant fait l’objet que de peu de commentaires. La perte du Dylan adepte des solos acoustiques fut une sacré tempête. Il y eut bien quelques autres performances acoustiques, les chansons jouées en 95 en donnent de beaux exemples, de même que les six premiers morceaux joués au cours des spectacles des années 1999 et 2000. De 2001, nous conservons le souvenir de morceaux acoustiques difficiles à différencier des plages électriques. Une bande son dominée par la guitare était jouée, vite rattrapée par les instruments électriques provoquant la perte du morceau acoustique, à jamais peut-être. Cela aurait pu tout simplement vouloir dire que Dylan avait changé son jeu. En 1999, 2000 et 2001, le tout prit une tournure blue grass, des chansons jouées en public et marquées par les racines américaines plus que par les ballades folk de ce côté-ci de l’océan.

Il semblait n’y avoir plus de place pour ces ballades folk dans les spectacles de Bob. Peut être ne pouvait-il plus les chanter. Man Of Constant Sorrow réapparut en 2002 mais sous la forme d’un « Oh Brother, where art Thou » en version rock. La version jouée à l’automne 2002 était très actuelle, très électrique.

L’année 2003 fut marquée par une nouvelle approche des performances acoustiques solo jouées par Bob. La même chanson pouvait être reprise au cours de ce NET mais avec un jeu très différent. Desolation Row, The Lonesome Death Of Hattie Carroll, It Ain’t Me babe, Girl From The North Country et Boots Of Spanish Leather bien sûr.

Cette dernière avait fait l’objet d’un nouvel arrangement en accentuant l’intensité dramatique, pour le premier spectacle de la partie européenne dans la ville de Helsinki. L’enregistrement de ce show dit tout du travail fait même si la structure du morceau reste encore mal perçue. Le morceau est joué sur un rythme plus lent, avec une ouverture de guitare acoustique et un accompagnement de guitare qui donne le ton au nouvel arrangement. Dylan lui-même ajoute sa touche électrique. Un enregistrement de Stockholm montre que la chanson s’était enfin trouvé suscitant des conversations et des messages sur l'internet. L’enregistrement de Karlstad, un lac suédois à 160 miles à l’ouest de Stockholm, tient de la révélation. Bob prenait la diction à cœur, ce qui donnait au morceau un caractère sauvage.

Ecouter ce morceau c’est tomber sous son charme d’autant qu’on ne sait pas quelle sera le phrasé donné par Bob au concert suivant. Il donne parfois de cette voix sans souffle qui a dominé l’été, mais à d’autres moments les années sont balayées et la voix se déploie pleinement. Ces moments-là peuvent vous couper le souffle. Dylan ne se dérobe pas mais prend au contraire du plaisir à se confronter au morceau auquel il ajoute une différente version chaque soir. Il connaît parfaitement l’importance de ce vers final et garde tous ses efforts pour cette dernière ligne. Il nous en a donné une lecture magnifique à Karlstad, qui plus est sur une mélodie totalement revisitée auréolée d’une voix puissante et libre. Les concerts prenaient tournure et chaque soir j’espérais entendre Boots Of Spanish Leather en ouverture.

Dylan joua ensuite les 17 et 18 octobre aux célèbres docks de Hambourg. Boots fut jouée les deux soirs et après avoir tenté, joué et peaufiné, il donna une excellente performance le 17 et une plus subtile encore le 18.

Mon appétit fut aiguisé par les rumeurs affirmant que la version du 17 ne serait pas rejouée. Les performances données me laissaient beaucoup d’espoir et j’attendais donc beaucoup de la salle presque intime de Hambourg. L’enregistrement de la chanson me déçut pourtant. La voix restait âpre, épaisse, sans réelle tonalité ni inspiration. La chanson faisait naître les frissons mais il manquait ce petit plus qui aurait ajouté à la perfection de l’expression. L’interprétation du 18 ne suscita pas d’attention particulière de la part de ceux qui étaient là. Cette version du 18 semble atteindre les sommets de tout ce que Bob paraît rechercher avec ce nouvel arrangement, insistant sur le côté dramatique, effectuant une nouvelle approche de cette chanson vieille de quarante ans.

Si vous le pouvez, écoutez cette version du 18. Bob a délaissé la guitare électrique, même si le jeu électrique ajoute à la tension un trouble bienvenu.
La voix est libérée, le groupe crée le jeu parfait pour la chanson, autour de cette nouvelle mesure apaisée.
La partie vocale est de loin la meilleure de tout ce que j’ai entendu en 2003, la plus saisissante. Elle n’est pas seulement plus intime mais déploie un phrasé particulièrement prenant et plus particulièrement à deux endroits. Le premier sur « easy ». C’est si inattendu qu’il faut plusieurs écoutes avant de saisir ce détail :

Make your time more easy passin’

Dylan ne se contente pas de chanter ce mot en jouant sur la gamme, comme il le fait à plusieurs reprises avec frequently sur Accidently Like A Martyr à l’automne 2002, mais plutôt de telle façon que chaque note devient audible. Et la foule qui l’acclame alors me procure un premier frisson. Ce n’est pas une acclamation rajoutée comme lorsque des vivats de foule vinrent saluer cette phrase de 2002 :

Even the President of the United States
Sometimes must have to stand naked


Pendant la chanson It’s Alright Ma . Ceux qui ont acclamé devraient se souvenir de ces mots écrits par Dylan:

Inside the museum
Infinity goes on trial

La réaction spontanée d’une foule pendant un concert fait naître des frissons incroyables. A Hambourg, le spectacle baignait dans une ambiance fantastique. Dylan paraissait se nourrir des acclamations reçues pour ce vers. Il sait qu’une performance n’est jamais gagnée. Ce vers-là n’est pas d’ordinaire celui qui lui vaut des acclamations. Il a donc senti à ce moment qu’il avait choisi le ton juste. La foule l’acclamait, s’excitait pour saluer ce qu’il venait de faire et pas pour quelque chose qu’il avait déjà fait. En cet instant, le plaisir ne venait pas du souvenir.

Porté par cet élan, la chanson touche au magnifique, donnant une nouvelle dimension à un morceau dont on pensait tout connaître. Le narrateur ne dit pas autre chose qu’à l’ordinaire, mais son jeu vocal dramatique donne une luminosité nouvelle à la chanson. Cette excellente version appelait un final particulier et Dylan s’essaya à tout donner en ce soir d’octobre 2003 :

So take heed, take heed of the western wind
Take heed of the stormy weather

Ces vers sont magnifiquement interprétés. Chaque « Take heed » se construit autour d’un « heed » déployé, poussé loin, avec cet appui tout particulier sur le d final comme s’il tenait à dire qu’il faut l’écouter attentivement. Western wind a une portée merveilleuse, aérienne. Stormy weather dit assez que les années ont passé. Dylan roule joliment le « r » de weather. Et, mieux encore, ces deux vers, à la façon dont ils sont lus, nous mettent en appétit pour la conclusion, la dernière ligne droite. La réponse apportée à la question posée par celle qu’il aime :

And yes there’s something you can send back to me
Spanish boots Of Spanish leather


Le “And yes” est interprété avec superbe, un sens de la mise en scène qui ajoute au drame qui s’est joué avant. Le vers « There’s something you can send back to me » est interprété sur une gamme descendante qui semble nous conduire au bas du dernier vers assassin.


And yes
  There’s
    Something
      You can
          Send 
            Back
              To
                Me
Il donne une emphase toute particulière à Send et Back to Me et les enveloppe avec la mélodie comme s’il les jetait dans une spirale douce amère qui leur donne un fort caractère nostalgique. Vient enfin le vers final. Dylan garde en mémoire la façon dont il a chanté le mot easy quelques vers plus haut. Conscient de la réaction qu’il a suscité, il s’applique à ce mot final « Spanish » auquel il a accordé une place toute particulière depuis 1963. Ce vers est la déclaration finale et réclame cette majesté :
Spanish Boots Of Spanish Leather

Il donne à ce second Spanish la même tonalité qu’au easy, plus tôt dans la chanson, descendant la gamme une fois encore. Il insiste pour cela sur le « i » de Spanish, s’attardant sur le Span avant d’entreprendre le i note après note :

Span
I
I
I
I
I
I
Ish

Pour finalement lancer le leather dans un flot d’acclamations déclenchées par ce Spanish triomphal. La chanson se referme sur cette prestation vocale d’exception, une interprétation donnée par Dylan pour une chanson vieille de quarante ans, une chanson qui a toujours fait l’objet d’une interprétation particulière. Le sommet atteint est perceptible chez Dylan lui même, comme dans le public de ce concert ou encore chez ceux qui écoutèrent le morceau en MP3 ou CD. Et les mots ne suffisent pas à expliquer le sommet atteint. C’est leur combinaison avec la voix, et dans ce cas avec ce qu’il reste de cette voix abîmée de 2003, mais une voix qui cherche à se tracer un nouveau chemin jusqu’à quelque chose de nouveau et de parlant. C’est donc bien dans sa voix que réside son art.



Cet article a été publié dans le fanzine Judas no.8 et traduit de l'anglais par Agnès Chaput.


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